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À l’Atelier 21, les retrotechs réenchantent un avenir désirable

Auteurice de l’article :

Carine Claude

Carine Claude est journaliste culturelle spécialiste des arts numériques. Elle a été directrice de l’information de l'agence de presse Art Media Agency et a travaillé pour la rubrique culture de L’Express, L’Expansion, La Tribune. Actuellement rédactrice en chef d’AMA, une revue d’art diffusée en ligne et distribuée lors de diverses foires et événement culturels (Paris Photo, NFT Paris, Art on Paper, LAW, Rencontres d’Arles, etc), elle collabore régulièrement avec le Quotidien de l’Art, La Gazette Drouot et Beaux-Arts Magazine. Ex-cheffe du service info de Makery, le média des makers et des fablabs, elle a écrit pour de nombreux médias spécialisés dans les cultures digitales (Poptronics, MCD, Revue AS), notamment dans le champ de la critique des œuvres d’art numériques. Avec le Laboratoire Arts & Techs de Stéréolux à Nantes, elle anime diverses tables rondes, et visites professionnelles d’expositions d’art numérique. En parallèle de ses activités de journaliste, elle enseigne le journalisme culturel en master à Paris III-Sorbonne Nouvelle ("Enjeux de l’édition web", "Arts plastiques, arts numériques et esthétiques des nouveaux médias"), l’économie du marché de l’art à l'IESA et le journalisme web à l'École des métiers de l'information à Paris.

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Low-tech, retrotechs, open source… À la croisée des arts et des sciences citoyennes, l’Atelier 21 s’inspire des technologies du passé pour faire avancer la transition énergétique à grands pas.

Rechargeable, une pile alcaline ? Impossible. Et bien, non. N’en déplaise à Duracell, la bonne vieille pile alcaline n’est pas à usage unique : à l’instar des piles rechargeables, elle peut se régénérer. C’est la découverte de l’Atelier 21, une association de sciences citoyennes située dans le 13e arrondissement à Paris qui œuvre pour faire avancer la transition énergétique en s’inspirant des technologies du passé — les retrotechs. “Nous avons créé la RegenBox, qui est le premier chargeur de piles alcalines non rechargeables issu d’un programme de recherche collaboratif”, explique Cédric Carles, le directeur de l’association.

Non à l’obsolescence programmée

Ce petit boitier low-tech est un régénérateur de piles open source piloté par un Arduino qui recharge entre 5 et 10 fois tout type de piles. Facilement assemblable à la maison ou dans un fablab, il permet de prolonger la durée de vie de la pile de 50 à 80 %. Exit l’obsolescence programmée et les millions de piles balancées au recyclage. “Nous nous sommes rendu compte qu’une pile sur quatre jetée était neuve et que deux sur quatre sont régénérables, ajoute Cédric Carles. Or, les piles sont difficilement recyclables. Ce sont des déchets toxiques qui, au final, finissent quand même enfouis ou incinérés et dont les résidus métalliques sont récupérés pour construire des routes…”

Le coup de génie de la RegenBox est qu’elle s’appuie sur un brevet tombé dans l’oubli : celui de Karl Kordesch, l’un des pères de la pile alcaline sèche… et de la mission Apollo, dont il a conçu les piles à combustible. Dans les années 1970, il découvre qu’il est possible d’effectuer une recharge de ses piles alcalines grâce à une technique de micropulsions électriques. Pour mettre sa théorie en pratique, il avait commercialisé dès 1980 des alcalines rechargeables 25 fois… avant que la loi du marché ne les enterre avec les piles rechargeables de type Nimh.

En kit ou prête à l’emploi, la RegenBox a bénéficié de plusieurs campagnes de financements participatifs. C’est le plébiscite. Les commandes affluent et l’association ne sait plus où donner de la tête. De projet communautaire, elle est aujourd’hui devenue une start-up, le RegenFab, qui développe également des solutions collectives sous forme de bornes ou de mallettes pour tester et régénérer les piles dans des lieux publics, des musées ou des associations. “C’est plus qu’un écogeste, il s’agit de sensibiliser les publics aux principes de l’économie circulaire et aux enjeux de la transition énergétique”, explique Cédric Carles, qui porte les casquettes d’artiste, entrepreneur et écodesigner.

À la recherche des bonnes idées oubliées

La RegenBox n’est qu’un exemple parmi d’autres des découvertes dénichées par Paléo-énergétique, le programme de recherche participative piloté par l’Atelier 21 qui explore l’histoire des sources d’énergie alternatives inspirées du patrimoine technique. Car la transition énergétique ne date pas d’hier. Sur leur site, une incroyable frise chronologique recense les inventions énergétiques depuis l’Antiquité, des tours à vent Badguir de la Perse ancienne aux voitures éoliennes médiévales en passant par l’”héliothermomètre” d’Horace Bénédicte de Saussure — prototype des futurs capteurs solaires —, la pile de Clarendon — ancêtre des batteries électriques — ou encore la presse solaire d’Augustin Mouchot, capable d’imprimer 500 exemplaires de journaux à l’heure dans les jardins des Tuileries à Paris en 1882. Une mine de projets avortés ou oubliés sortis de l’imaginaire fertile de celleux que Cédric Carles appelle les “paléo-héros”. “L’idée est de faire appel à l’intelligence collective, dit-il. L’histoire de l’énergie n’est ni linéaire ni darwinienne. Elle regorge d’innovations fantastiques oubliées qui n’ont pas été généralisées à leur époque, alors qu’elles répondaient déjà à des problématiques contemporaines.”

Sur tous les fronts

Dans le monde entier, une communauté de chercheuses et de chercheurs, d’artistes, de journalistes, d’ingénieur·es et bien entendu de citoyen·nes fouillent les archives, creusent les brevets tombés dans le domaine public, exhument des pépites d’ingéniosité. Le projet, aujourd’hui tentaculaire, ne se limite pas à un simple site répertoire. Conférences théâtrales, expositions interactives, collection d’ouvrages — Retrofutur : Une contre-histoire des innovations énergétiques et Retrofutur : une autre histoire des machines à vent… Le programme s’est même doté d’un musée virtuel, le Retrofutur museum, qui permet de naviguer dans toutes ces inventions modélisées en 3D. Accompagnées de portraits et de commentaires audios, elles redonnent la parole à ces paléo-héroïnes et héros “injustement oublié·es”. De virtuelles, les histoires se déclinent également en mode IRL lors d’expositions in situ où les silhouettes des inventeurices s’affichent grandeur nature au détour d’une rue avec QR codes et parcours sonore à l’appui.

Essaimage

L’idée des paléoénergéticien·nes ? Planter un peu partout les graines d’une transition énergétique ouverte, collective et participative dans les écoles, les fablabs, les quartiers, et aussi… les grandes entreprises. “La transition, ce sont les arts, les sciences et l’entrepreneuriat, pas juste des idées”, affirme Cédric Carles. C’est ainsi que mandaté par la fondation Schneider Electric, l’Atelier 21 s’est retrouvé en pleine COP 21 en Égypte, avec des projets et des RegenBox plein les mallettes pour répondre aux défis du changement climatique. “Nous avons fait des animations à l’école française de Charm el-Cheikh, dans des collèges, au fablab du Caire pour assembler des RegenBox, énumère Cédric Carles. Surtout, quand on va dans un autre pays, on regarde ce qui s’est fait là-bas pour raconter des histoires qui touchent les gens. Dans les années 30 par exemple, un ingénieur libanais, Hassan Kamal Al Sabah, a déposé 27 brevets, car il avait compris qu’on pourrait utiliser le sable du désert pour créer des cellules solaires et transformer le Sahara en oasis. Tout ça a été oublié.”

Changer d’échelle

Dans le même esprit, l’Atelier 21 a équipé en 2020 l’École Normale des Arts et Métiers (ENAM) de Conakry avec son conteneur-école Ecolab qui permet de générer de l’électricité en autonomie à partir de différentes sources d’énergie renouvelable — solaire, photovoltaïque, hydro-électrique, biomasse ou éolienne. Un travail en étroite collaboration avec les communautés locales pour créer une approche plus démocratique et inclusive de la transition énergétique, mais aussi favoriser l’essor de start-ups dédiées à l’énergie durable. “Il faut donner aux idées la capacité de changer d’échelle”, ajoute le directeur de l’Atelier 21.

En parlant d’échelle, Paléo-Energétique vient de se voir décerner une mention d’honneur par le festival Ars Electronica et la Commission européenne dans le cadre du Prix de l’Union européenne pour la Science Citoyenne. “Ce projet de recherche participative remet en question l’importance que nous accordons aujourd’hui à l’innovation, expose le jury, unanime lors de la remise du prix. Il pose la question suivante : pouvons-nous produire de l’énergie durable à partir d’inventions passées qui n’ont jamais été commercialisées ?” Loin d’être des reliques techniques, ces inventions sont peut-être la clé d’un avenir meilleur.

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