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Portrait 4 minutes de lecture

Ariane Loze, vidéaste théâtrale

Auteurice de l’article :

Justine Leupe

Journaliste depuis 5 ans, Justine gravite principalement dans le milieu du lifestyle. Ses découvertes, elle les pose sur papier, parfois et dans des CMS, beaucoup. À ses heures perdues, elle court, elle danse et elle s’habille avec plein de couleurs car il n’y a pas que les paillettes dans la vie !

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Le nom d’Ariane Loze est apparu dans le milieu de l’art contemporain grâce à ses vidéos réalistes qui se singularisent par leur ton décalé. Ses derniers travaux en date questionnent les algorithmes, leurs fonctionnements et leur omniprésence dans nos vies quotidiennes.

Depuis 2008, Ariane, née et habitant à Bruxelles, met en avant les traits de notre société dans des vidéos-performances. Ses courts-métrages nous emmènent dans son univers de champs-contrechamps qu’elle maîtrise à la perfection. L’artiste interprète à elle seule tous les personnages qui apparaissent dans son scénario. Elle va plus loin en endossant les rôles de scénariste, de metteuse en scène, puis de réalisatrice et enfin de monteuse. La seule étape où elle se fait aider est celle de la post-production. Œuvrant ainsi, elle préserve une pleine liberté de création, même si la charge de travail est conséquente. “C’est aussi parce que j’étais seule avec ma caméra que j’ai eu accès à de nombreux lieux”, explique celle qui reçoit une carte blanche en 2018 pour réaliser une vidéo dans le garage Citroën qui allait devenir KANAL-Centre Pompidou.

Du théâtre au cinéma, il n’y a qu’un pas

Dès l’âge de treize ans et pendant toutes ses études secondaires, Ariane étudie le théâtre en cours du soir, à Bruxelles. Elle rejoint ensuite la section mise en scène du RITCS. Après cette formation, la jeune femme considère qu’elle n’a pas la carrure assez solide et qu’elle est trop jeune pour diriger une équipe. Elle entame un post-graduat en performance et ne cesse d’analyser les procédés narratifs du cinéma. Elle réalisera ses premières vidéos en s’exerçant à filmer des champs-contrechamps. Étant seule, elle se met elle-même en scène et joue tous les personnages.

Le Banquet © Ariane Loze

S’en est suivi néanmoins une période de doute : où un travail si singulier pouvait-il trouver place ? Trop expérimentaux pour les festivals de films, ses courts-métrages sont programmés par deux fois dans des festivals d’art vidéo. C’est là qu’un commissaire d’exposition l’oriente vers l’art contemporain. Un milieu qui lui semblait difficile à intégrer, mais où pourtant, elle se fera très vite un nom. Notamment grâce à ses deux années au HISK (Higher Institute for Fine Arts) une résidence d’artistes, où elle rencontre de nombreux professionnels de l’art, qui l’encouragent et avec qui elle travaille toujours aujourd’hui. 

J’ai eu envie d’entamer des recherches de manière sociologique. Bien que
mes vidéos restent de l’art.

Ariane Loze

La société vue par Ariane Loze

Avec leur montage sans effets spéciaux et d’une grande simplicité technique, les films d’Ariane Loze évoquent le monde d’aujourd’hui. Mais à leur façon. C’est en 2017 que l’envie lui prend de mener des recherches de manière presque sociologique. “Bien que mes vidéos restent de l’art.” C’est au moment de l’entre-deux tours des élections françaises, alors que les candidat.es avoisinaient toustes les 20%, et que peu de personnes souhaitaient voter, qu’elle songe à réaliser un film sur le changement. “Que ce soit la société en général ou l’humain en tant que personne, chacun·e a toujours envie de transformation. Mais quand il s’agit de réellement faire bouger les choses, tout le monde se rétracte, avance l’artiste. C’était risqué de parler d’engagement politique dans un film, mais je l’ai tenté. Finalement, cette vidéo, Impotence, représente bien le flottement qui persiste dans notre société. Beaucoup de personnes se sont reconnues dans les différents personnages.”

Art, regard sociologique et digital

Pour ses deux dernières vidéos, nommées l’une If you didn’t choose A, you will probably choose B et l’autre Our Cold Loves, l’artiste travaille à partir de l’analyse du fonctionnement des algorithmes et des applications de rencontre. Pour plonger au cœur du sujet, Ariane a rencontré plusieurs chercheur·euses spécialisé·es dans ce domaine dont la sociologue Jessica Pidoux, la coach en dating Laurie Dutheil, et le mathématicien Paul-Olivier Dehaye. Cette collaboration lui a permis d’affiner les dialogues.

Ces deux derniers projets ont été pour elle une révélation de l’impact énorme de la digitalisation sur la société et sur les évolutions qu’elle engendre déjà. “Les machines, apparues aux 18e et 19e siècles, ont créé la révolution industrielle. Le monde a changé. Il en ira de même avec la révolution digitale. Nous en restons encore, pour le moment, au sentiment que tout cela est très pratique. Mais nous ne sommes pas encore conscient·es que de nouvelles habitudes mentales et comportementales sont déjà en train de bouleverser en profondeur la société. On ne voit que les avancées qui semblent utiles, mais d’autres processus qui les accompagnent sont déjà en train de se refermer sur nous”, précise-t-elle. 

L’amour 2.0

Au cours de ses recherches, Ariane Loze s’est rendu compte que les utilisateurices des applications de rencontre doivent d’abord séduire la machine, avant de séduire l’humain : “Dans sa thèse sur les applications de rencontre, Jessica Pidoux a analysé le brevet de Tinder dont le système de matching est basé sur la théorie d’Arpad Elo. Ce scientifique avait inventé un processus pour que des joueur·euses d’échec de même niveau se rencontrent, explique-t-elle. Mais en amour, il est plus compliqué de traduire ce ‘de même niveau’. Il s’agirait de mettre ensemble les personnes qui voyagent en yacht et celles qui se déplacent en petites voitures… tout cela grâce à un système de points accumulés sur base d’un questionnaire : ‘Fais-tu du sport ?’, ‘ Est-ce que tu fumes ?’… En fonction des réponses, l’utilisateurice gagne ou perd des points. Par la suite, la ‘machine’ crée un score et met ensemble les personnes qui ont plus ou moins les mêmes résultats. Mais à côté, il y a aussi la ‘sensation de destin’. Des ‘matchs’ sont aussi créés entre des personnes qui ont des points communs. Ces derniers sont repérés via les algorithmes des réseaux sociaux et les centres d’intérêt des personnes. Mais la terrible conclusion de tout cela est évidemment que le but des applications de rencontre n’est pas l’amour mais la revente des données personnelles !”, constate Ariane Loze. 

Pour découvrir les deux dernières vidéos If you didn’t choose A, you will probably choose B et Our Cold Loves, d’Ariane Loze, rendez-vous le 3 février au Centre Culturel de Strombeek-Bever, à partir du 9 mars à la Galerie Michel Rein à Bruxelles et du 25 mars à la Galerie Michel Rein à Paris.

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