Partager des conversations avec des animaux grâce à l’IA ?
Auteurice de l’article :
Qui n’a jamais rêvé de pouvoir communiquer avec son chat ou son chien ? Après tout, nos animaux de compagnie sont nos meilleurs amis, ne serait-il pas fascinant de pouvoir leur poser des questions et découvrir ce qu’il se passe réellement dans leur tête ? Grâce aux avancées de l’intelligence artificielle, ces fantasmes auparavant plus proches des films fantastiques seraient peut-être plus accessibles qu’il n’y paraît.
Un futur pas si éloigné
Les chercheurs explorent les moyens de communiquer avec d’autres espèces animales depuis des années, mais c’est depuis 2023 que le sujet se répand dans les médias. La biologiste Michelle Fournet a réussi, grâce à l’IA, à traduire un son émis par les baleines à bosse. Ses recherches étaient soutenues par Earth Species Project (ESP).
L’organisation à but non lucratif créée en 2017 regroupe des technologues et des ingénieurs qui travaillent au développement de systèmes d’apprentissage automatique capables de décoder la communication animale. Leur but est d’établir une communication bidirectionnelle entre l’homme et les autres espèces animales, dans leur propre langage, au moyen d’ordinateurs pilotés par des IA, qui serviraient d’intermédiaires entre les deux. Katie Zacarian, PDG et cofondatrice de l’organisation, a d’ailleurs affirmé dans un article du World Economic Forum : “Avec ces progrès, nous prévoyons que nous nous dirigeons rapidement vers un monde dans lequel une communication bidirectionnelle avec une autre espèce est probable”.
Depuis 2022, l’organisation récolte une base de données pour alimenter l’IA. Elle a déjà réalisé des progrès significatifs dans l’interprétation IA des chants des baleines. Cette base de données devrait, dans quelques années, permettre d’interpréter le langage des primates, oiseaux, mammifères, chauves-souris et même des amphibiens, et les traduire en langage humain.
La complexité des comportements animaux comme obstacle
Selon ESP, dans une trentaine d’années, les documentaires sur la nature n’auront plus besoin d’une voix narrative pour décrire les scènes, car les ‘conversations’ des animaux seront sous-titrées à l’écran. Mais il y a encore du travail pour y arriver. Et ce travail tient moins dans la technologie des IA que dans les immenses quantités de données qui doivent être collectées pour comprendre les schémas de communication entre les animaux.
Cette difficulté tient dans le fait que, si les humains utilisent un langage complexe basé sur la parole, les animaux communiquent grâce à leur comportement, en utilisant un système de signaux. Un chat, par exemple, communique avec ses pairs via les mouvements de sa queue, la position de ses oreilles, la taille de ses pupilles ou encore une série de sons. Dans ce cas et dans beaucoup d’autres, analyser simplement les sons dans l’algorithme généré par l’IA mènerait à une interprétation largement incomplète du langage de l’espèce.
Pour compléter les recherches, c’est l’écologie environnementale qui se présente comme un atout majeur. Elle suit les modèles et les lois du comportement animal et permettrait donc d’associer des mouvements, des comportements à des paroles et donc de traduire de façon précise le langage qui y est associé.
Les baleines, premières concernées
Et dans ce domaine, ce sont les cétacés qui offrent la meilleure porte d’entrée. “Les cétacés sont particulièrement intéressants en raison de leur longue histoire – 34 millions d’années en tant qu’espèce culturelle et d’apprentissage social”, informe Katie Zacarian, CEO d’ESP, au forum économique mondial, “comme la lumière ne se propage pas bien sous l’eau, une plus grande partie de leur communication passe forcément par le canal acoustique”.
Le projet CETI, une collaboration entre des chercheur·euses spécialisé·es en biologie marine et des expert·es de l’intelligence artificielle, a notamment pour objectif de déchiffrer le langage des cachalots. Les chercheur·euses utilisent les sons enregistrés au cours des 15 dernières années pour décrypter les communications établies entre ces baleines. Les cachalots communiquent en utilisant des codas, des clics suivant différents rythmes, qui ressemblent vaguement au code morse.
Mais décoder les sons ne suffit pas. Pour comprendre les raisons des communications entre les animaux, il est essentiel de comprendre le contexte social dans lequel ces sons sont échangés. Cela passe par le “où” et le “quand” en plus de l’animal en question.
Les avancées permises par le projet CETI ne pourront s’appliquer qu’aux cachalots et non aux autres mammifères marins, mais les grands principes du projet resteront pertinents. Il faudra tout de même établir des modèles de traduction IA propres à chaque espèce étudiée. “Là où ce sera très utile pour les chercheur·euses qui travaillent sur les communications d’autres mammifères marins, c’est de savoir là où le projet CETI a réussi et là où il a échoué, pour éviter de répéter ces erreurs”, note la bioacousticienne Michelle Fournet.
L’IA comme alliée à la protection de la nature
À ne pas s’y méprendre, ces recherches ne nous permettront pas de tenir des conversations avec les espèces. Leur but est d’écouter et de comprendre les besoins des animaux afin d’adapter nos comportements. “Par exemple, si nous savons qu’un son est essentiel pour qu’une baleine puisse se nourrir, alors nous pouvons nous assurer que l’océan est silencieux à ce moment-là pour qu’elle puisse trouver de la nourriture. Mais nous devons savoir de quel son il s’agit”, explique Michelle Fournet.
D’après les scientifiques de ESP, les avancées en matière de communication avec les animaux, l’écologie comportementale, et l’apprentissage automatique pourraient avoir un impact de poids sur les efforts de conservation. Iels imaginent un monde dans lequel on pourrait prévenir les baleines et les dauphins des dangers en leur envoyant des messages dans leur langage. En étudiant de façon approfondie la culture des éléphants, on pourrait également créer des corridors de conservation plus efficaces qui seraient communiqués aux troupeaux.
Dans la même lancée, les IA pourraient soutenir les organisations environnementales dans la surveillance de la santé des écosystèmes, grâce à l’analyse des enregistrements bioacoustiques. Par exemple, en comparant les sons d’un récif corallien en bonne santé à ceux d’un récif dégradé, ou en mesurant la récupération d’une forêt tropicale avec un glissement de terrain ou un incendie.
Il est difficile d’estimer toutes les implications que l’intelligence artificielle pourrait signifier pour la conservation de l’environnement, mais, placée dans les bonnes mains, elle offre une promesse pleine d’espoir pour rééquilibrer notre relation avec la nature.
Le revers de la médaille
Certain·es scientifiques évoquent néanmoins des inquiétudes concernant les dangers que ces nouvelles technologies pourraient représenter pour les espèces animales étudiées. Si actuellement ces outils ne sont testés que sur des espèces élevées en laboratoire, le chercheur Olivier Alexandre se questionne sur le futur : “Leur postulat de départ consiste à penser que communiquer avec les animaux va être bénéfique pour le monde vivant. Mais en est-on certain ? Si demain ces technologies trouvent des applications industrielles – et je ne doute pas que l’on va en trouver – qu’est-ce que cela va donner ? Pour le monde vivant, ça pose quand même énormément de questions”.
Des inquiétudes d’autant plus légitimes que les outils d’intelligence artificielle sur lesquels travaille Earth Species Project sont développés en open source. Qu’est-ce qui empêchera alors des structures mal intentionnées de récupérer ces technologies et de s’en servir à leur avantage ? Par exemple, en attirant les baleines dans des espaces où iels les attendraient pour les chasser ?
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