Alex Stevens, l’innovation DIY
Auteurice de l’article :
Doté d’un sens aigu de la débrouille, d’un diplôme en informatique et d’une expertise implacable en matière de programmation musicale, l’ancien programmateur de Dour est désormais à la tête de Music Data Studio, une startup qui mêle conseil, outillage et data à destination des professionnel·les du secteur.
“Je crée beaucoup de micro-outils qui facilitent mon quotidien, ce qui fait que je suis ultra efficace”, nous glisse Alex Stevens avec une pointe d’ironie, confortablement installé dans son canapé. Tout juste rentré de vacances, il nous raconte non sans fierté qu’il vient de bricoler un système de transfert de ses messages WhatsApp vers sa boîte mail. “Je suis un peu un hacker”, ajoute-t-il d’un ton rieur. Un hacker, certes, mais un hacker qui a fait ses preuves : en 25 ans de carrière, le Liégeois a mis sur pied une flopée de systèmes plus ingénieux les uns que les autres, visant à apporter toujours plus d’automatisation, de mutualisation et de facilitation au sein du secteur musical.
Dour, un terrain de jeu sans limites
C’est au festival de Dour, pour lequel il a travaillé pendant près de vingt ans, que tout a commencé : après avoir lancé Nameless – son propre magazine musical –, Alex s’est vu confier la programmation d’une des scènes du festival. Au même moment, il entame des études en informatique, et suggère quelques solutions d’outillage au festival wallon, notamment au niveau de la communication. “On a directement lancé un forum de discussion pour pouvoir échanger avec les festivalier·es, leur demander leur avis, etc. C’était assez innovant d’avoir cette communauté, cette interaction directe avec les fans, se remémore-t-il. J’amenais toujours de nouvelles idées que je glanais à gauche à droite, que ce soit sur la création d’outils pour la gestion des bénévoles ou la gestion de la programmation. En 2006, j’ai mis au point un outil de gestion d’accréditations, à une époque où il n’y avait presque pas de billetteries électroniques : les gens allaient acheter leurs tickets à la Fnac”, ajoute-t-il.
Quelques années plus tard, Alex prend les commandes de la programmation du festival, et continue de faire de l’innovation son cheval de bataille. Jonglant entre la communication, la programmation et le développement de nouveaux dispositifs tels que Mécano – un outil d’aide à la production qu’il a ensuite revendu à la startup anversoise Beatswitch –, il commence à s’intéresser au data, et récupère des données auprès de son public pour améliorer l’offre du festival. “C’est à ce moment-là que j’ai créé les prémisses des outils que je propose actuellement à d’autres festivals, comme Bookr.fm. La première version s’appelait Bandbook, c’était l’équivalent de Facebook mais avec des groupes, une sorte de MySpace interne”, explique-t-il.
Fort de 18 ans de programmation au festival de Dour, Alex fonde en 2018 la structure KuratedBy dans l’optique de mutualiser la programmation de festivals indépendants. “On rencontrait les agents et on mutualisait celles et ceux qui étaient en tournée. Ça nous permettait de faire des doubles offres, de récupérer des infos qu’on avait via la France pour les exploiter en Belgique, et vice-versa.” Structure qu’il a fermée il y a un an. Aujourd’hui, il a sa propre agence solo, Olakala.
Bookr.fm, un outil de collaboration et de gestion interne
C’est notamment cette notion de mutualisation qui est au cœur de Bookr.fm, le logiciel mis sur le marché par Alex Stevens l’année dernière. Véritable outil de facilitation à destination des équipes de programmation des festivals, Bookr.fm est la solution tout-en-un pour aider les programmateurices dans la construction de leur line up : curation individuelle et communautaire, communication, rédaction de contrats ou encore gestion des budgets, tout – ou presque – peut être réalisé via la plateforme.
Nourri par la base de données Music Data Studio – qui répertorie plus de 850 000 profils d’artistes à travers le globe –, l’outil permet aux équipes de programmation de visualiser, d’analyser et de classer les fiches des artistes qui pourraient potentiellement les intéresser. Le principe est simple : à l’aide d’un paquet de data – comme le taux d’écoutes Spotify d’un·e artiste, sa bio Last FM, ses dates et lieux de tournées ou encore les médias qui l’ont chroniqué·e –, la plateforme crée un profil qui s’ajoute à la base de données. “L’idée, ce n’est pas de t’abrutir de data. C’est de te permettre de voir si tu creuses ou pas. L’outil ne prend pas de décision à ta place, précise Alex. Quand on parle de donnée, on pense qu’on ne parle que de quantitatif. Selon moi, les données peuvent être quantitatives ou qualitatives. Un·e artiste qui est écouté·e par 100 auditeurices par mois, c’est une info. Mais si l’artiste a un article dans Pitchfork et a été joué·e par DJ Lefto, ça change tout”, ajoute-t-il.
En plus des fiches artistes, Bookr.fm offre toute une série d’outils de gestion interne : “C’est un CRM de gestion de budgets et d’offres. Sur l’outil, on peut générer des pré-contrats pour les artistes”.
IA et data, des mots qui font peur dans l’industrie musicale
Dans un secteur basé sur l’émotionnel, le réseau et les relations humaines, des notions telles que “data” et “intelligence artificielle” en rebutent certain·es. “Le secteur de la musique live est très lié à l’humain. Les programmateurices programment un·e artiste parce qu’iels connaissent leur agent, parce qu’iels ont confiance en l’agent, parce que leur fille écoute l’artiste. La musique, c’est un secteur interpersonnel, souligne Alex. Moi, j’essaye d’aider les festivals à mieux comprendre leur public pour optimiser leurs choix (…) Pour moi, l’avenir de la programmation musicale, c’est un mix des deux : le relationnel, l’humain, ce que tu ressens quand tu écoutes de la musique, et puis un peu de données, un peu de connaissances de ton public pour ne pas te faire avoir. Ce n’est pas l’un ou l’autre, c’est l’un et l’autre. Bookr.fm, c’est un outil au service de la prise de décision”, ajoute-t-il. Un outil qui, malgré les craintes, connaît déjà un franc succès : entres autres, les équipes de Couleur Café, Marsatac, Sakifo Musik Festival et Plissken Festival l’ont déjà adopté.
Malgré tout, une question nous turlupine : l’utilisation d’un tel outil ne risquerait-elle pas de lisser les programmations ? La réponse d’Alex est limpide : “Aujourd’hui, sans Bookr.fm, les programmations se ressemblent déjà toutes (…) Les programmateurices font du copier-coller, parce que c’est rassurant. Moi, avec mon outil, je veux faire l’inverse de ça”. Faire la différence en créant des programmations uniques et sur-mesures, en phase avec l’identité d’un festival et de son public, c’est ce que propose Alex Stevens. “La donnée me permet d’être plus efficient sur cette recherche-là : en croisant les données, en regardant les critères, je vais détecter de nouveaux artistes et écouter des artistes que les autres n’ont pas encore repéré·es, plutôt que de faire bêtement comme mon voisin”, explique-t-il, avant d’ajouter : “Toutes les données sont là, mais tu ne vas pas regarder les mêmes selon ton profil. Bookr.fm, c’est une calculatrice, un outil pour t’aider à aller plus vite, mais ça ne fait pas le travail de curation à ta place. Donc ça ne va pas lisser les programmations. Ce qui lisse les programmations, c’est le fait que les gens fassent des copier-coller entre elleux parce que ça les rassure.”
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