IA Days 2025 : cinq jours pour penser, créer et questionner l’intelligence artificielle

Auteurice de l’article :
Cinq jours de conférences, débats et expérimentations ont réuni étudiant·es, artistes, enseignant·es et professionnel·les du numérique créatif autour d’une même question : que fait l’intelligence artificielle à nos métiers, à notre art et à notre humanité ?
Du 13 au 17 octobre, Louvain-la-Neuve s’est transformée en laboratoire d’idées et d’expérimentations autour de l’intelligence artificielle. Les IA Days, première édition d’un événement initié par l’Agence du Numérique, l’IAD (Institut des Arts de Diffusion) et The Pod (initiative qui vise à positionner le Brabant wallon comme une “terre numérique d’excellence”), ont rassemblé pendant cinq jours un public varié : étudiant·es, enseignant·es, artistes, chercheur·euses, professionnel·les de la création et de la culture numérique. Objectif : explorer, créer, interroger. “Un moment pour discuter des enjeux de l’IA. Un moment pour regarder ce qui se passe, et donc s’inspirer. Un moment pour tester, expérimenter, échanger”, explique Olivier Gaillard, AI facilitator pour l’IAD et responsable de la programmation.
Une première édition ancrée dans la création
Producteur pendant plus de dix ans, Olivier Gaillard connaît bien les tensions qui traversent les milieux artistiques face à l’intelligence artificielle. “Il y a beaucoup de choses qui me questionnent : les conséquences sur la création, l’impact environnemental, social, sur l’emploi… et même sur la santé mentale. En discutant avec le corps professoral de l’IAD, j’ai compris que ces questionnements étaient partagés, et sont même généraux dans de nombreuses écoles d’art et domaines artistiques.”

De cette réflexion est née l’idée d’un événement pluridisciplinaire, pensé comme un espace de dialogue et d’expérimentation. Autour de lui, un panel d’acteurices culturel·les, de chercheur·euses, d’artistes et de technicien·nes est venu débattre d’une même conviction : l’IA est là pour durer, mais c’est à nous de définir comment l’apprivoiser.
IA 2030 : trajectoires et enjeu
Le jour 1 des IA Days était dédié à une journée d’inspiration et de conférences d’expert·es. Dès les premières tables rondes, les échanges ont pris la mesure du défi : comment créer à l’ère de l’intelligence artificielle ? Pour Nicolas d’Alessandro, cofondateur de Hovertone, agence créative montoise, “les IA sont une espèce de résumé du monde”. Un monde fascinant, mais aussi déroutant : “On est dans une phase de sidération, face à quelque chose qui paraît magique. Mais il faut se demander : qui est derrière tout ça ?”
Face à la prolifération des contenus générés par IA — ce qu’il appelle le AI slop, ces productions automatisées inondant internet — Nicolas d’Alessandro défend une approche plus humaine et éclairée : “Il faut apprendre à s’en servir, devenir des artistes “AI compatibles”. Et surtout, remettre l’humain au centre, savoir qui est derrière une œuvre”.

Romain Boonen, fondateur d’Empowork Culture, partage ce constat. “Nos métiers vont évoluer, certains emplois vont disparaître. Mais on doit trouver notre chemin, se former, tester des choses, expérimenter.”
Pour Raoul Sommeillier, cofondateur du collectif arts sciences Ohme, l’IA doit être envisagée comme un outil d’exploration de la vérité, à utiliser “en connaissance de cause”. Et si les géants américains dominent actuellement le marché, Nicolas d’Alessandro rappelle que des alternatives existent, notamment dans l’open source : “Les gros modèles comme ChatGPT sont plus performants, mais il y a une effervescence autour de modèles plus petits, plus éthiques, plus accessibles. Il faut encourager ces pépinières locales”.
Métier : se réinventer ou disparaître ?
Le deuxième grand temps fort de cette première journée des IA Days a posé une question directe : comment nos métiers créatifs vont-ils évoluer ? Le panel, animé par Béatrice de Mahieu (BeCode), réunissait des profils variés : Alice Benoit (Amplo), Frédéric Bochart (RTL Belgium), Hadrien Hanse (IHECS) et Jean-Gilles Lowies (OPC).
Face à un tsunami, on est toujours en retard. Le temps d’apprivoiser une IA, une nouvelle arrive.
Jean-Gilles Lowies
Pour les écoles, cela signifie un besoin permanent de veille et de formation. Mais cette adaptation ne se résume pas à une course technologique. Hadrien Hanse, photographe et enseignant dans une Haute école de communication appliquée, rappelle l’enjeu philosophique : “L’IA est un miroir de tout ce qu’on a produit. C’est une machine pilotée par l’humain. Il faut se recentrer sur l’acte créatif humain : ce qu’on a en tête, ce qu’on a envie de raconter.”

Alice Benoit, de son côté, observe sur le terrain la méfiance des artistes face à ces outils, mais aussi un potentiel de simplification. “L’IA peut aider à se décharger des tâches chronophages, pour se consacrer à la création. Plus les artistes auront la vie simplifiée, plus ils pourront se concentrer sur leur cœur de métier.”
Dans son rôle de partenaire RH des industries culturelles et créatives (ICC), Amplo s’interroge : comment accompagner cette mutation ? “Notre mission, c’est d’amplifier les possibilités au sein des ICC. Si on veut que les talents évoluent avec leur temps, il faut les aider à comprendre ces nouveaux outils et à les apprivoiser sans peur.”
Liberté artistique vs boîte noire
La question de la création à l’ère de l’automatisation a également été abordée lors de cette journée d’inspiration sous l’angle éthique et artistique. Jeanne Brunfaut (administratrice générale de la Culture à la Fédération Wallonie-Bruxelles) encourage une approche pragmatique. “Encourageons le recours à l’IA quand elle apporte une réelle plus-value. Pas de position défensive, mais il faut un cadre, une réglementation.”
Alexandre Lavallée (enseignant à l’Académie des Beaux-Arts de Tournai) y voit une nouvelle aire de jeu pour les artistes, tout en soulignant que “le rapport au réel n’existe pas avec l’IA générative”.
Peut-on être ému par une œuvre sans humain derrière ? Louis de Diesbach, éthicien de la technique, met en garde contre la standardisation : “Les grandes plateformes tendent à homogénéiser les productions. Mais la standardisation dans l’art n’est pas neuve — elle prend juste une autre forme”.


IA et inclusion : un outil d’accessibilité culturelle et éducative
Entre les débats, un souffle plus optimiste : Sébastien Place, de Microsoft Belgique, a montré comment l’IA pouvait devenir un outil d’inclusion et d’accessibilité. Sous-titrage automatique, traduction en direct, assistance à la lecture ou à l’écriture : autant d’applications concrètes qui rendent la culture et la formation plus accessibles aux publics éloignés.
Propriété intellectuelle et nouveaux modèles économiques
Enfin, la dernière table ronde a abordé la question juridique : droits d’auteur, IA Act et nouveaux business models. Le juriste Frédéric Young (SACD/SCAM), Alicia De Mulder (FOD Économie), Ilan Manouach (Echo Chamber) et Éric Delacroix (Euranova) ont rappelé l’importance de traduire les obligations européennes en pratiques concrètes. “L’IA intensifie simplement des questions qui ont toujours été là”, rappelle Ilan Manouach.

Comment faire valoir le droit d’auteur dans une image générée à partir d’une multitude d’œuvres préexistantes ? La question reste ouverte — et cruciale pour le monde culturel.
Des œuvres générées par une intelligence artificielle, le public a d’ailleurs pu en découvrir une sélection lors de la Nuit de l’IA, une première du genre organisée le soir-même avec des partenaires comme le festival français “Mash Up Festival”. “Bien sûr, il y a des choses critiquables, remplies de défauts. On a fait intervenir à distance Henry Daubrez, Resident Filmmaker & Creative Director at Google Labs (anciennement directeur créatif de Dog Studio). Il a présenté ses dernières créations pour montrer au public l’évolution de certaines technologies et le temps de production nécessaire”, explique Olivier Gaillard. Un événement qui a rassemblé pas moins de 200 personnes, dont une cinquantaine déjà présentes lors des conférences.




Créer ensemble pour monter en compétences
Du mardi au vendredi avait lieu le Creathon – ou “marathon créatif” – des IA Days. Trois parcours représentant trois industries créatives étaient proposés à des étudiant·es et des professionnel·les : l’édition pour travailler à l’écriture et la création visuelle, la vidéo pour créer un contenu médiatique court et le jeu vidéo pour concevoir un prototype de jeu et son teaser. “Je n’ai eu que des retours positifs, sourit Olivier Gaillard, qui souligne les échanges qui ont pu se créer entre les écoles même. Ça stimule l’ensemble du groupe à monter en compétences.”
Des voix engagées : remettre l’humain au centre
Après sa table ronde, Nicolas d’Alessandro (Hovertone) nous confie croire en l’importance de l’humain derrière la machine. “Moi, ça ne m’intéresse pas de savoir ce qu’une machine pense. Une machine ne pense pas, elle reproduit. Ce que je veux, c’est un point de vue, un regard humain sur le monde.” Et d’espérer que cette hyper-automatisation provoque une renaissance de l’humain. “On va se remettre à chercher les vrais gens”, assure-t-il.
Du côté d’Alice Benoit (Amplo), même espoir : “La nouvelle génération est plus bidouilleuse, plus audacieuse. Il faut leur apprendre à ne pas avoir peur de se tromper, à décomplexer l’essai-erreur”. Ces deux regards, celui du créatif et celui de la facilitatrice, se rejoignent : l’avenir de l’IA dans la création dépendra de notre capacité à la comprendre et à la réhumaniser.
Un écosystème en construction
Au fil des jours, les IA Days ont surtout montré une chose : la Wallonie ne veut pas subir l’IA, mais la façonner à son image. Entre l’ouverture à la recherche, le soutien institutionnel, l’implication des écoles d’art et des entreprises créatives, un écosystème est en train d’émerger en soutien au développement de la créativité numérique représentée par wake! by Digital Wallonia, également partenaire de l’événement. “Il faut montrer que tout ça se passe aussi ici, en Wallonie”, sourit Nicolas d’Alessandro.
Au-delà des débats techniques ou philosophiques, les IA Days auront permis de fédérer des acteurices qui, chacun·e à leur manière, veulent faire de l’intelligence artificielle un levier d’innovation, de création et de réflexion critique.
Un pari réussi pour cette première édition, qui a prouvé qu’entre fascination et prudence, l’avenir de l’IA reste avant tout une affaire profondément humaine.
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