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KIKK Festival, la plateforme wallonne qui électrise l’innovation digitale internationale

Auteurice de l’article :

Julie Mouvet
Journaliste

À ses heures perdues - pendant que d'autres perdent des journées devant Netflix - Julie, elle, lit, écrit des articles, enregistre des podcasts, monte des vidéos... Un condensé de discipline et de passion qui font d'elle l'ennemi jurée de tout procrastinateurice du dimanche ! Journaliste de formation, elle accompagne les projets créatifs et culturels à développer leur visibilité et leur communauté, avec une offre complète et modulable : community management, copywriting, création de contenus audio et vidéo, relations presse, animation de débats / conférences / tables rondes, formations en réseaux sociaux.

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À Namur, le KIKK Festival n’est plus un simple rendez-vous des arts numériques. C’est un point de connexion mondial, où créativité, technologie et innovation s’entrecroisent. Et une vitrine internationale pour une Wallonie qui revendique son rôle de territoire créatif.

Chaque année, le KIKK Festival opère un virage audacieux dans son thème. Après une édition centrée sur l’intelligence artificielle et ses illusions, la direction artistique a fait un pivot radical. “On voulait passer à un sujet un peu plus fun et moins angoissant que l’IA”, sourit Marie du Chastel, directrice artistique du festival. La 14e édition a donc plongé dans les relations intenses entre son, espace et arts numériques, sous une bannière évocatrice : Boom Boom Tchak.

© Bryan Nicola Maxwell

Ce choix n’est pas un hasard. Les liens entre création numérique et musique sont historiques, profonds, presque organiques. “Toute la scène du mapping, de la projection ou de la synchronisation audiovisuelle vient de l’environnement de la musique électronique”, rappelle Marie du Chastel. L’édition 2025 en a donc exploré toutes les résonances : installations immersives, phénomènes ondulatoires, expériences participatives, interconnexions entre sons humains, animaux et non-humains.

Mais cette thématique n’est que la surface d’un écosystème plus vaste, celui que le KIKK s’emploie à faire dialoguer depuis plus d’une décennie.

Relier des mondes qui ne se parlent pas ailleurs

Ce qui distingue le KIKK des grandes rencontres internationales de l’innovation digitale ? Sa capacité à réunir des univers qui s’ignorent trop souvent. “Notre ADN, c’est la créativité numérique. Nous faisons le lien entre scènes artistiques, design et technologie. C’est très rare d’avoir un événement qui réunit ces trois pôles”, explique Marie du Chastel. Un positionnement unique, qui attire autant les agences digitales que les artistes numériques, les studios VR ou les designers UX.

Cette transversalité nourrit une programmation riche, équilibrée, pensée comme un grand ruban narratif. Chaque slot horaire propose trois contenus différents — art, design ou réflexion critique — afin de décloisonner les publics. Le festival revendique aussi un engagement sociétal fort : féminisme, vieillissement, management toxique, impact environnemental… autant de sujets abordés sur scène par des artistes et designers internationaux·ales. “Un·e designer qui crée une interface transmet déjà un message. Leur rôle social est immense. C’est pour ça qu’on veut parler d’impact technologique et de société, pas uniquement d’innovation”, souligne la directrice artistique.

Une plateforme génératrice de rencontres… et de projets

Le KIKK n’est pas seulement un lieu où l’on écoute : c’est un terrain fertile où naissent collaborations, coproductions et opportunités économiques. “On fonctionne comme un connecteur : un facilitateur de rencontres entre des gens qui doivent se rencontrer, même s’iels viennent de domaines différents”, résume Marie du Chastel.

L’exemple le plus parlant est le projet CoVision, programme européen Creative Europe mené avec plusieurs partenaires. L’installation de Robertina Šebjanič et Marco Barotti, présentée au Grand Manège, en est le fruit direct : une œuvre née d’une rencontre… au KIKK 2018.

Fossilized futures, de Marco Barotti and Robertina Šebjanič © Kat Closon

Et ce n’est pas un cas isolé. Des agences comme Atwood — célèbres pour le ta-dum de Netflix — témoignent également avoir rencontré de futurs partenaires grâce au festival.

Namur, nouvelle place forte de la création digitale

Ce rôle de plateforme relationnelle se ressent dans les chiffres. Sur les 3.000 professionnel·les réunis cette année, 45 % venaient de l’étranger. Une diversité rare pour un événement en Belgique francophone. “C’est fou d’entendre autant de langues dans les rues de Namur pendant le festival : de l’allemand, du suédois, de l’anglais…”, raconte Marie du Chastel. Même à Austin, lors de SXSW, elle affirme avoir entendu des “Belgium, Namur ! I know !” lancés par des professionnel·les étranger·es. Le festival est devenu une référence dans le microcosme international de la création numérique.

Pour la Wallonie, cette dynamique est tout sauf anecdotique.

La créativité numérique : un levier stratégique pour la Wallonie

Du côté de l’AWEX, cette montée en puissance est perçue comme un signal fort. Pour Marie-Alix Côme, Business Developer au sein de la Direction Innovation, le diagnostic est clair : “La créativité numérique, ce n’est pas seulement un domaine cool : c’est un levier économique à part entière”.

Marie-Alix Côme © AWEX

La région dispose d’un écosystème prometteur : studios de jeux vidéo, producteurices d’expériences immersives, agences digitales, start-up en IA générative… autant d’acteurices capables d’exporter facilement leurs créations. “Une expérience VR ou un jeu mobile peut se diffuser partout dans le monde.” Et la force aujourd’hui est la structuration de cet écosystème derrière un label qui lui donne de la lisibilité : wake! by Digital Wallonia.

L’AWEX soutient d’ailleurs cette internationalisation : missions économiques, salons internationaux, présence collective au SXSW, au NAB, à IAAPA… et bien sûr au KIKK, devenu l’un des points d’ancrage de cette stratégie.

“Ces événements permettent aux entreprises wallonnes de se connecter à des écosystèmes mondiaux, d’apprendre, de collaborer et de se positionner”, souligne-t-elle.

Un atout économique, culturel… et territorial

Au-delà de l’exportation, la créativité numérique est aussi un facteur d’attractivité. “Elle pousse à innover autrement et rend la région plus attractive pour les talents et les investisseur·euses”, insiste Marie-Alix Côme.

Namur, Liège, Mons : plusieurs pôles wallons incarnent déjà cette effervescence. La région devient progressivement un territoire où les jeunes diplômé·es veulent rester, où les créatif·ves internationaux·ales souhaitent venir, où les collaborations se multiplient.

Ce développement s’accompagne toutefois de défis : manque de visibilité à l’international, besoins accrus en formation et financements encore fragiles dans les industries culturelles et créatives. Mais la dynamique est bien enclenchée. “La Wallonie peut devenir une référence européenne si on continue à investir dans nos talents et à favoriser les ponts entre économie, culture et innovation”, affirme-t-elle.

© Kat Closon

Quand l’international rencontre la Wallonie

L’un des atouts majeurs du festival est sa capacité à faire converger compétences locales et acteurices globaux·ales. Les entreprises wallonnes y présentent des prototypes ambitieux, des solutions numériques inédites, voire des créations artistiques nourries par les technologies.

“Ce festival est indispensable pour montrer ce qui se fait ici, explique Chadi Abou Sariya, fondateur du Miam Miam Creative Lab. On dit souvent aux artistes ou aux entrepreneur·euses belges de partir à l’étranger pour réussir. Mais pourquoi ? La Wallonie a un potentiel immense, et les Belges sont respecté·es partout pour leur savoir-faire. Le KIKK contribue à révéler cette richesse et à la mettre en réseau.”

L’enjeu est double : faire rayonner les talents belges, et faire venir vers elleux des partenaires internationaux qui, souvent, repartent étonné·es de la vivacité de l’écosystème local.

Miam Miam Creative Lab : le savoir-faire belge à 360°

L’un des projets qui illustre parfaitement cette dynamique est le Miam Miam Creative Lab, studio multidisciplinaire basé à Bruxelles. Spécialisé dans la création culturelle — de la scénographie immersive aux effets spéciaux cinéma, du motion design aux dispositifs multi-caméras —, le studio revendique une ligne claire : prendre le temps de bien faire.

“Notre vocation est vraiment artistique. Sur 370 projets, à peine quelques-uns étaient orientés business. Le reste, c’est de la culture pure”, raconte Chadi Abou Sariya. Sa référence ultime ? Une interprétation monumentale de La Tentation de Jérôme Bosch, développée sur un an, avec une liberté créative totale et un niveau d’exigence rare.

Spherix : un son 360° qui change la narration immersive

Mais si le Miam Miam Creative Lab attire l’attention au KIKK Market cette année, c’est surtout grâce à Spherix, une innovation sonore qui pourrait bien bouleverser l’expérience immersive.

Le constat de départ est simple : à chaque révolution technologique, le son est laissé derrière. Cinéma muet, télévision mono, VR ambisonique standardisée… À force de normalisation, les créateurices perdent la main sur le rendu final. “On dit aux artistes du son qu’après des mois de travail, ce n’est plus elleux qui décident comment leur création est diffusée. C’est absurde”, déplore Chadi Abou Sariya.

Spherix propose une alternative : un module audio ultra-personnalisable, qui redonne aux concepteurices un contrôle précis sur la spatialisation, la réverbération, la dynamique et l’orientation sonore. Une solution pensée pour la vidéo 360°, la VR, mais aussi potentiellement pour le jeu vidéo, le cinéma ou le montage son.

Le projet a nécessité des années de développement, “dans un petit bureau, en secret”, jusqu’à un tournant décisif pendant la pandémie. Aujourd’hui breveté, Spherix attire déjà des spécialistes du son et des studios internationaux intéressés par ses applications.

Le KIKK Market, un levier pour les projets émergents

Présenter Spherix au KIKK Market n’était pas un choix anodin. L’objectif : rencontrer des financeurs, des expert·es et des partenaires techniques capables d’aider le projet à franchir une nouvelle étape. “Hier encore, j’ai eu deux rendez-vous clés. Les retours étaient à la fois positifs et critiques, mais c’est ce que je recherche. Ces échanges me permettent de grandir, d’ajuster, de renforcer le projet”, confie Chadi Abou Sariya.

Cet espace de démonstration est devenu un des points névralgiques du festival, où startups, studios créatifs et laboratoires expérimentaux dévoilent leurs innovations à un public professionnel et particulier venu des quatre coins du monde.

© Bryan Nicola Maxwell

Vers un KIKK encore plus structurant

À l’aube de sa 15e édition, le festival amorce de nouvelles évolutions. Une journée supplémentaire sera dédiée aux professionnel·les, avec conférences et sessions de matchmaking. L’objectif : renforcer encore le rôle du KIKK comme hub international des industries créatives.

L’exposition grand public pourrait également évoluer… si les financements suivent. “On aimerait développer l’expo dans l’espace public, mais pour l’instant les budgets diminuent”, admet Marie du Chastel. Un constat lucide, mais qui ne freine pas l’ambition du festival.

Le KIKK, catalyseur d’un territoire créatif

Le KIKK Festival n’est pas seulement un événement. C’est un accélérateur de talents, un laboratoire d’idées, un lieu où la création numérique wallonne se connecte au monde. Il révèle une Wallonie imaginative, ambitieuse, collaborative — et définitivement tournée vers l’international.

Ou, comme le résume Marie-Alix Côme : “La créativité numérique, c’est une énergie collective. Et en Wallonie, nous avons cette imagination — il faut simplement continuer à lui donner les moyens de rayonner”.

Et comme le dit Marie du Chastel, en une phrase : “Le KIKK est un connecteur : une plateforme de rencontres et une source d’inspiration pour toustes celleux qui créent avec la technologie”.

© Quentin Chevrier
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