Entre Belgique et Japon, les nouveaux territoires du numérique créatif

Auteurice de l’article :
“Designing future society for our lives” : c’est le thème de l’Exposition universelle qui se tient à Osaka au Japon jusqu’en octobre. Du 25 au 30 mai dernier, le Pavillon belge de l’Exposition universelle accueillait la Semaine Wallonie-Bruxelles. Une importante délégation académique et d’entreprises y représentait le savoir-faire et l’excellence belge francophone dans des domaines aussi variés que l’industrie 4.0, le chocolat ou les sciences du vivant. Emmené par le KIKK, l’écosystème numérique créatif wake! inaugurait cette semaine sur le Pavillon belge avec la journée “No borders, new territories of digital creativity””.
Faire 15 000 km vers l’Est amène son lot de questions, dont la principale est le rapport à l’altérité. La technologie nous a bien outillé·es dans le monde des affaires cette dernière décennie pour gérer ces contrastes culturels : traduction simultanée assistée par IA, médias sociaux professionnels, réalité virtuelle pour nous immerger dans d’autres réalités. Ou encore, les chatbots avec lesquels discuter pour challenger ses points de vue occidentaux. Mais rien ne remplacera jamais le fait de fouler la terre, emplir ses poumons de l’air et goûter les subtilités culinaires pour véritablement entrer en communication et fertiliser un terrain propice aux partenariats interculturels.
Une vitrine sur l’excellence technologique belge francophone
La Belgique, comme l’Europe, a quelques enjeux communs avec le Japon, comme les défis de la décarbonation, du vieillissement démographique, de l’IA…La créativité numérique est aussi un terrain de développement où Belges et Japonais·es ont des chantiers à construire ensemble. Cette fin de mai 2025 a donc vu plusieurs représentant·es des industries créatives numériques wallonnes et bruxelloises embarquer pour le pays du soleil levant, direction Osaka afin de participer à l’Exposition universelle via la Semaine Wallonie-Bruxelles sur le Pavillon de la Belgique et rejoindre la mission économique “society 5.0“.

L’objectif de l’AWEX et de Wallonie-Bruxelles International, les organisateurices de la Semaine, était d’offrir une vitrine sur l’excellence belge francophone mais aussi, générer les conditions de la rencontre avec de potentiel·les partenaires et client·es japonais. Une opération placée sous le patronage des deux Ministres-Président·es, Adrien Dolimont pour La Wallonie et Elisabeth Degryse pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, et du Commissaire du Pavillon belge de l’Expo universelle Pieter Decrem (Belexpo).

La coordination de la journée “No borders, new territories of digital creativity” a été confiée au KIKK qui, dès 2023, projetait sa participation à l’Exposition universelle d’Osaka tant le Japon est une terre d’inspiration pour l’ensemble du secteur créatif, de l’animation aux jeux vidéo. “Nous conduisons la programmation du Pavillon numérique depuis 2020 sur les hauteurs de la citadelle de Namur. Celui-ci n’est autre que le Pavillon belge de l’Exposition universelle de Milan 2015, racheté par la ville de Namur. Un espace à la fois rare, puisqu’il constitue, avec l’atomium ou le Palais des Expositions du Heysel, l’un des seuls patrimoines des Expositions universelles visitable à ce jour en Belgique. Et original, car le KIKK y expose la création artistique numérique internationale à la croisée des sciences, des technologies et des questions de société”, commente Gilles Bazelaire, directeur du KIKK.


La créativité comme levier pour un marché numérique compétitif et inclusif
De Namur à Osaka, le corridor aérien était tout tracé : restait à une délégation ICC bien fournie de s’envoler pour partir explorer les terres de Sony, Nintendo et des Studio Ghibli. Le KIKK a donc réuni sous la bannière de l’écosystème “wake! By Digital Wallonia” quelques fleurons de la créativité numérique comme les entreprises Laser System Europe (light show sur la tour Eiffel lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 24), Drop the Spoon (à l’origine du récent show “The dancing water” à Macao, Chine), le studio d’animation carolo Dreamwall bien connu pour animer des IP aussi populaires que les Schtroumpfs ou Marsupilami, ou encore Dirty monitor, chef d’orchestre de la scénographie du pavillon belge de l’Expo universelle, qui déploie désormais 85% de son chiffre d’affaires à l’international.
Mais encore, les artistes numériques bruxellois spécialisés en motion design et en XR Yann Deval et Laura Colmenares, et côté “néo-comics”, l’artiste-chercheur Ilan Manouach et ses associés du collectif Echo Chamber Sébastien Conard (Université de Gand) et le philosophe-éditeur Laurent de Sutter.

Sans oublier Wallimage, le fonds wallon de soutien à l’audiovisuel et à la créativité digitale. “La mission nous a permis de rencontrer des sociétés japonaises actives dans les secteurs que Wallimage couvre et qui pourraient, je l’espère, donner lieu à des collaborations avec des sociétés wallonnes de notre portefeuille, commente la directrice de Wallimage Virginie Nouvelle. L’une des sociétés rencontrées sur place m’a déjà contactée par mail pour investiguer sur les options.”


Cette journée dédiée aux ICC sur le pavillon belge a donc été maillée d’échanges vifs et rythmés autour de la créativité comme levier pour faire du marché numérique un marché plus compétitif, mais aussi plus inclusif. Le tout devant un parterre d’invité·es japonais·es, belges (dont le youtuber bruxellois Tikal réalisateur de la série “le Dit du Gaijin” de RTBF Ixpé et depuis lors, installé à Tokyo) et français·es, comme le duo d’artistes luxo-français Emilie Brout et Maxime Marion en résidence à quelques kilomètres de là, à la Villa Kujoyama de l’Institut culturel français à Kyoto.
“Défendre la créativité, exprimait la ministre de la Culture Elisabeth Degryse en introduction à la journée, ce n’est pas résister au changement, mais l’embrasser, l’exposer, la partager et la cultiver.”

Au cœur des débats animés par wake! et le KIKK, une multiplicité de sujets qui animent l’industrie créative ont été abordés. Comme le pouvoir du storytelling immersif, ou l’impact des IA génératives. Celles-ci mettent tout un secteur au défi du regroupement en écosystèmes pour monter en puissance et en compétences, et faire face aux multiples transformations. Par exemple, celle d’un secteur aussi traditionnel et artisanal que la bande-dessinée qui, aujourd’hui mis en données, se mue en un champ entier d’expérimentation pour les humanités numériques. Enfin; comment la créativité numérique devient une clé pour appréhender le réel, susciter l’émerveillement, et générer l’empathie pour l’engagement. Une journée pour professionnel·les de la créativité numérique qui a permis la rencontre autour de défis communs, que l’on se trouve à l’Ouest ou à l’Est. Ont pu en témoigner le studio créatif Cosmic Lab basé à Osaka (Athens Digital Arts Festival, expo universelle d’Astana 2017,…) créé par l’artiste numérique VJ Colo Muller, qui trouve ses origines dans la scène culturelle underground d’Osaka. Ou une équipe de Sapporo (ville japonaise créative Unesco “media arts”, tout comme la ville de Namur) représentant le festival d’art numérique international, venue spécialement de 1500 kms au Nord d’Osaka à la rencontre des organisateurices en quête de maillage Belgique-Japon.

Alice Gorissen, CEO de Dreamwall : “Je retiens avant tout la richesse des échanges et la dynamique collaborative qui s’est déployée autour des industries créatives et numériques. Ce voyage m’a permis de mesurer à quel point la diversité de nos approches artistiques et technologiques constitue une force dans le dialogue international, notamment avec les écosystèmes japonais”. Et Gilles Bazelaire d’espérer “de tout coeur que cette journée soit un point de départ, une conversation qui ne s’arrête pas au 26 mai mais qui puisse donner naissance à de nouveaux projets et qui sait, à de nouvelles façons d’imaginer le monde”, d’autant plus dans le contexte du 160ème anniversaire des relations diplomatiques Belgique-Japon célébré en 2026.

Les expositions universelles, des écosystèmes d’innovation mondiaux
Véritable vitrine du génie humain depuis leur lancement à Londres au 19ème siècle, les expositions universelles sont en elles-mêmes des écosystèmes d’innovation où générer des connexions pour les entreprises créatives. La délégation d’entreprises ICC ont dès lors profité de leur présence sur place pour visiter plusieurs pavillons : les scénographies interactives et immersives des pavillons canadien, hollandais et français par exemple ont été conçues et développées par des studios ou artistes comme Mirari, après minuit (Canada), tellart (Pays-Bas), Justine Emard et GSM Project (France). L’Expo universelle offre aussi à découvrir des pavillons dits “signature”, comme l’impressionnant “Null2” de l’artiste numérique japonais Yoichi Ochiai. Ou encore, le show quotidien de l’Exposition universelle “One world, One planet” mobilisant drones show et projections mapping sur des rideaux d’eau, et le savoir-faire de Laser System Europe (Braine L’Alleud). “Après avoir eu l’occasion de visiter plusieurs pavillons sur le site de l’expo universelle, je pense que l’on peut dire qu’on n’a pas à rougir de ce que nous avons produit, nous pouvons en tant que Belgique être fiers des aménagements intérieurs et extérieurs” partageait lors du discours de clôture de la Semaine Wallonie-Bruxelles Arnaud Meulemeester (Dirty Monitor).

D’Osaka, direction Tokyo pour y rencontrer les équipes de Panasonic connect, de Dentsu Live (bénéficiant d’une vue sur la skyline japonaise depuis le 40ème étage d’un gratte-ciel-photo), ou encore le brand manager de Teamlab (ici, la fabrique de Teamlab Planets), studio japonais pionnier d’expériences neuro-esthétiques présent aux 4 coins du globe (Tokyo, New-York, Abu Dhabi, Hambourg, Singapoure), ou encore avec le tout récemment créé Dragone Japan, filière du groupe louviérois bien connu qui s’inscrit pleinement dans l’héritage des méga productions de feu son créateur Franco Dragone. Une suite d’échanges stimulants qui ont validé le modèle de développement économique pour les ICC “en écosystème”. La structuration de wake! suscite un intérêt certain auprès des parties japonaises rencontrées, tant il constitue une porte d’entrée coordonnée pour les producteurs de technologies et d’expériences, vers un vivier de créateurices de contenus, d’opérateurices événementiel·les et de savoir-faire multiples en haute technologie créative.


Loin des gratte-ciels de Tokyo, direction Kyoto pour une toute dernière étape où la délégation a pu découvrir la Villa Kujoyama de l’institut culturel français du Japon : 250 candidatures étudiées chaque année, 15 artistes solos ou en duo dans 17 disciplines différentes sont retenus pour y passer 4 à 6 mois de résidence artistique. Chaque premier jeudi du mois, la villa est ouverte au grand public. L’occasion de découvrir les mécaniques de résidence artistique, mais aussi de s’immerger dans l’univers de l’inspirant duo de média artists luxo-français Emilie Brout et Maxime Marion, dont une partie du travail a rejoint les collections du Centre Pompidou à Paris et l’une des récentes oeuvres a reçu le qualificatif des célèbres Inrocks de “Frankenstein à l’ère de l’IA”.

“Ouvrir le champ des possibilités futures” entre Orient et Occident
Aller à la rencontre de l’altérité, c’est rétrécir les distances de toutes natures, comme l’explique Laura Colmenares, artiste XR associée à la mission : “Ma participation au Japon m’a ouvert un champ de possibilités pour candidater à des appels à projets avec ce pays qui me paraissait avant comme inaccessible, trop lointain. Comprendre la culture, avoir une présence sur place ouvre la possibilité d’imaginer des collaborations pour le futur”.

Car le futur, c’est là où se situe déjà le Japon si l’on en croit le développement déjà bien avancé du concept de “society 5.0” : une société où les technologies avancées (IA, IoT, robotique) sont assimilées de façon responsable dans tous les aspects de la vie pour améliorer la qualité de vie, répondre aux défis sociaux (dont le vieillissement) et placer l’humain au centre de l’innovation pour bâtir un avenir plus intelligent, connecté et durable. “Un projet qui intègre pleinement les industries culturelles et créatives”, selon Raphaëlle Albessard, senior industry specialist mechanical industry à l’Awex qui a conçu l’ensemble du programme des visites “society 5.0” de la mission économique Japon.
Des connexions sur lesquelles le KIKK entend bien capitaliser au profit de l’écosystème wake! by Digital Wallonia dans son ensemble. “Nous étions au bon endroit et au bon moment : le fait de venir en délégation aide à ouvrir des portes et nous avons pu réaliser de très bons contacts avec des entreprises à très haut potentiel. Je pense en particulier à Hakuhodo et à Dentsu avec qui nous continuons d’avoir des échanges, ce qui s’avère de bonne augure pour le moyen terme”, se montre confiant Laurent Rossion (LSE).
Tout comme Radjiny Schiltz (Drop the spoon): “Confronter notre approche à d’autres référentiels culturels et professionnels a renforcé une conviction, c’est que nos créations ont un écho bien au-delà de nos frontières”.
Une vision Orient-Occident qui offre de belles perspectives à la Wallonie créative numérique.
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